Conformité à la Constitution d’une loi de validation
Qu’est-ce qu’une loi de validation ?
Depuis une décision n° 80-119 DC du 22 juillet 1980 – « Loi portant validation d’actes administratifs », le Conseil constitutionnel a reconnu que le principe de l’indépendance des juridictions vis-à-vis du législateur et du Gouvernement « ne s’oppose pas à ce que, dans l’exercice de sa compétence et au besoin, sauf en matière pénale, par la voie de dispositions rétroactives, le législateur modifie les règles que le juge a mission d’appliquer ».
C’est ainsi, par exemple, que dans sa décision n° 2013-366 QPC du 14 février 2014, le juge constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution la validation législative des délibérations des syndicats mixtes instituant le « versement transport », qui prévoyait que : « Sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, sont validées les délibérations instituant le versement transport adoptées par les syndicats mixtes, ouverts ou fermés, avant le 1er janvier 2008, en tant que leur légalité serait contestée par le moyen tiré de ce que les syndicats mixtes ne sont pas des établissements publics de coopération intercommunale au sens des articles L. 233364, L. 233366 et L. 233367 du code général des collectivités territoriales« .
Cette jurisprudence a également été réaffirmée en matière contractuelle par une décision n° 2014-695 DC du 24 juillet 2014 qui rappelle les conditions dans lesquelles une validation législative est possible :
« Considérant qu’aux termes de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution » ; qu’il résulte de cette disposition que si le législateur peut modifier rétroactivement une règle de droit ou valider un acte administratif ou de droit privé, c’est à la condition que cette modification ou cette validation respecte tant les décisions de justice ayant force de chose jugée que le principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions et que l’atteinte aux droits des personnes résultant de cette modification ou de cette validation soit justifiée par un motif impérieux d’intérêt général ; qu’en outre, l’acte modifié ou validé ne doit méconnaître aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle, sauf à ce que le motif impérieux d’intérêt général soit lui-même de valeur constitutionnelle ; qu’enfin, la portée de la modification ou de la validation doit être strictement définie« .
Il en ressort 4 conditions :
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la validation doit respecter tant les décisions de justice ayant force de chose jugée que le principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions ;
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elle doit être justifiée par un motif impérieux d’intérêt général ;
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l’acte validé ne doit méconnaître aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle, sauf à ce que le motif impérieux d’intérêt général soit lui-même de valeur constitutionnelle ;
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la portée de la validation doit être strictement définie.
La décision du 19 avril 2019 sur la validation des conventions relatives à l’accès aux réseaux d’électricité
C’est en application de cette jurisprudence que, dans une décision n° 2019-776 QPC du 19 avril 2019, le Conseil constitutionnel a jugé conforme à la constitution le premier alinéa du paragraphe II de l’article L. 452-3-1 du code de l’énergie, dans sa rédaction issue de la loi n° 2017-1839 du 30 décembre 2017 mettant fin à la recherche ainsi qu’à l’exploitation des hydrocarbures et portant diverses dispositions relatives à l’énergie et à l’environnement qui dispose :
« Sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, sont validées les conventions relatives à l’accès aux réseaux conclues entre les gestionnaires de réseaux de distribution mentionnés à l’article L. 111-52 du code de l’énergie et les fournisseurs d’électricité, en tant qu’elles seraient contestées par le moyen tiré de ce qu’elles imposent aux fournisseurs la gestion de clientèle pour le compte des gestionnaires de réseaux ou laissent à la charge des fournisseurs tout ou partie des coûts supportés par eux pour la gestion de clientèle effectuée pour le compte des gestionnaires de réseaux antérieurement à l’entrée en vigueur de la présente loi.
Cette validation n’est pas susceptible de donner lieu à réparation ».
En l’espèce, par sa décision n° 388150 du 13 juillet 2016, le Conseil d’Etat avait jugé que les stipulations des contrats conclus entre le gestionnaire de réseau et les fournisseurs d’électricité ne devaient pas laisser à la charge de ces derniers les coûts supportés par eux pour le compte du gestionnaire de réseau.
La loi du 30 décembre 2017 précitée était alors venue confirmer la légalité de telles conventions.
Or, dans le cadre d’un litige introduit devant le Tribunal de commerce de Paris, la société Engie soulevait le fait que cette loi de validation excluait le droit pour elle d’agir pour recouvrer sa créance au titre de la gestion de clientèle qu’elle prétend avoir effectuée pour le compte de la société Enedis.
Elle invoquait ainsi la violation du principe de séparation des pouvoirs, de la garantie des droits et du droit à un recours juridictionnel effectif en ce que cette validation porterait sur le contentieux relatif aux coûts supportés par les fournisseurs d’électricité pour la gestion de clientèle effectuée pour le compte des gestionnaires de réseaux de distribution sans être justifiée par un motif impérieux d’intérêt général. La société requérante dénonçait également la violation du principe d’égalité devant la loi et devant les charges publiques, du droit de propriété et de la liberté d’entreprendre qui en résulterait.
Le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions contestées, a considéré que :
- les conventions en cause ne sont validées que dans la mesure où elles seraient contestées par le moyen tiré de ce qu’elles imposent aux fournisseurs la gestion de clientèle pour le compte des gestionnaires de réseaux ou laissent à la charge des fournisseurs tout ou partie des coûts supportés par eux pour la gestion de clientèle effectuée, antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi. Le législateur a ainsi strictement limité la portée de cette validation en adéquation avec l’objectif poursuivi ;
- en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu prévenir les conséquences financières pour les gestionnaires de réseaux et, indirectement, les consommateurs, susceptibles de résulter du remboursement des frais de gestion de clientèle mis à la charge des fournisseurs d’électricité ;
- les fournisseurs d’électricité peuvent soit être soumis aux tarifs réglementés de vente soit décider eux-mêmes, sur le marché, des prix qu’ils pratiquent. Selon la situation dans laquelle ils se trouvent et le prix ou le tarif pratiqué, la réalité et l’ampleur de leur préjudice résultant des coûts de gestion de clientèle supportés par eux pour le compte des gestionnaires de réseaux sont susceptibles d’appréciations différentes. L’incertitude quant au montant exact du risque financier global est donc inhérente aux procédures en cours ou à celles susceptibles d’être introduites, qui portent sur des cas d’espèce différents ;
- les gestionnaires de réseaux publics de distribution d’électricité, lesquels sont investis d’une mission de service public, sont rémunérés sur la base du tarif prévu à l’article L. 341-2 du code de l’énergie. Dès lors, le remboursement des frais de gestion, qui fait l’objet des litiges soumis à la validation contestée, serait susceptible de provoquer un renchérissement de ces tarifs, qui se répercuterait sur le prix payé par les consommateurs finaux d’électricité ;
- eu égard aux conséquences financières susceptibles de résulter des litiges visés par la validation et à leur répercussion sur le coût de l’électricité acquitté par l’ensemble des consommateurs, l’atteinte portée par les dispositions contestées aux droits des fournisseurs d’électricité ayant conclu les conventions validées est justifiée par un motif impérieux d’intérêt général » ;
- d’une part, le législateur a expressément réservé les décisions de justice passées en force de chose jugée et d’autre part, compte tenu de l’objectif d’intérêt général poursuivi, les conventions validées ne méconnaissent pas les principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques, le droit de propriété, la liberté d’entreprendre ni aucune autre exigence constitutionnelle.
C’est sur ce fondement que le Conseil constitutionnel a déclaré la loi de validation conforme à la Constitution.
La volonté d’éviter de provoquer, par le remboursement des frais de gestion, un renchérissement des tarifs d’électricité qui se répercuterait sur le prix payé par les consommateurs finaux constitue donc un motif impérieux d’intérêt général justifiant l’atteinte portée aux droits des fournisseurs d’électricité.